Rémy Marlot et Ariane Chopard - Quels monstres se terrent dans les Grands Moulins ?

Rémy Marlot et Ariane Chopard exposent jusqu’au 14 avril deux vidéos Around Home (2003) et Last views (2006) et 30 photographies de la série Limits (2002-2007). Ces images, d’assez grand format, 76 x 100 cm, occupent les trois murs blancs de la galerie, au bout d’un passage perdu dans la verdure, à deux pas de la gare Montparnasse : on quitte l’avenue du Maine, bondée, pour entrer dans une ruelle pavée et silencieuse. Alors, on oublie peu à peu le contexte, Paris, le bruit, et notre œil se pose, comme nettoyé, sur ces images.

On ne voit tout d’abord que des vues urbaines, architecturales, grises, simples, vides. Notre regard, comme plongé dans le noir, va petit à petit s’accommoder à son nouvel environnement. Des lignes se dessinent avec force, des touches de couleurs apparaissent, une atmosphère s’impose. Rémy Marlot a photographié les zones périurbaines au nord de Paris, entre le périphérique et l’ancien mur de fortification entourant la capitale. Y sont apparus des non-lieux, sans véritable préoccupation d’aménagement pour l’homme, tel un vaste no man’s land, entre ponts, parkings et bâtiments désaffectés. Ces lieux n’existent pas pour l’expérience humaine ou celle du regard commun mais le cadrage compose ces friches urbaines, les masses s’organisent dans le viseur et les lignes demandent à être déchiffrées.

C’est alors que le spectateur devient regardeur, comme happé à l’intérieur d’un univers un peu effrayant car vidé de toute référence possible à un contexte de vie, aussi bien rurale qu’urbaine. Ces lieux ne nous renvoient à rien, à part éventuellement à des images créées dans notre imagination lors de la lecture de certains ouvrages d’anticipation, comme ceux de Phillip K. Dick ou de Ballard par exemple. Le hors-champ s’empare alors de tous ses sens : que se passe-t-il en-dehors du cadre et que nous évoquent ces photographies ? Rémy Marlot aime à se faire peur et on se prend volontiers à son jeu dans lequel tout devient possible. Qui fréquente ces territoires sans fonction ni sociale, ni économique ? Quels monstres se terrent dans les Grands Moulins ? Quelles armées silencieuses se préparent à bondir hors des sous-sols des parkings ?

Rémy Marlot a parcouru à pied ces zones frontières abandonnées. Il a été touché par une lumière, un jeu de perspective, s’est arrêté, a cadré puis appuyé sur le déclencheur de son boîtier argentique. Il a capté la grâce fugitive de ces lieux qui n’existent pas pour l’homme mais par l’homme et qui sont pourtant investis par les vestiges de son passage. Ici on remarque des déchets, jetés depuis les voitures roulant sur le périphérique, formant des strates marquant le temps qui passe au milieu du béton, immuable. Plus loin un parterre pousse sur son talus, un bidon a été renversé, là un graffiti barre de blanc un mur de brique rouge…

On remarque enfin, revenant peu à peu à la surface de la photographie que quelque chose s’oppose souvent à la transparence parfaite de l’image : des grilles. Dans un premier temps notre œil passe outre et fait le point au-delà, tendu par le désir de voir quelque chose, malgré tout. Puis il s’aperçoit d’une gêne, d’un léger quadrillage et réalise : une barrière est posée entre lui et… un vide. Ces grillages sont comme les barreaux d’une cage de zoo déserté par ses animaux. Ni l’homme ni son regard ne sont les bienvenus là où la ville, vivante, aurait repris ses droits.

Limits – Studio Marlot-Chopard à la Galerie Immanence, Paris 15ème du 16.03.2012 au 14.04.2012 Conversation avec Fabien Simode le jeudi 5 avril à 19h