Le 6ème art vu du ciel de Lucie et Simon (prix HSBC 2010)

Jeunes lauréats du prix HSBC, Lucie et Simon s’exposent à la galerie Baudoin Lebon jusqu’au 24 juillet. Basculant le point de vue à la verticale, ils renouent avec les fondements de la photographie (depuis les « Points de vues » de Niépce pris de sa fenêtre mais plus encore avec les cadrages vertigineux sur lesquels s’est fondée l’esthétique moderne de la nouvelle objectivité ou, bien plus tard, avec les perspectives atmosphériques sur les œuvres du Land Art). Rien à voir pourtant avec une vue aérienne. Ici, la distance avec la scène est minimale. C’est un lien de proximité qui semble relier le spectateur aux êtres comme suspendus à la décision de son regard, devenus les marionnettes de ses propres fictions.

Unifiant leur perception décalée sur le quotidien, les deux artistes collectionnent les prix (Bourse du talent, Prix de la fondation Marcel Bleustein-Blanchet, Prix de la photographie de Vevey). Partageant des références aussi variées que Fritz Lang (Metropolis), Delaroche, Géricault ou encore Maurice Tabard, Les Becher, Sugimoto, DiCorcia…, ils proviennent pourtant d’horizons divers : alors que la française Lucie de Barbuat a suivi une formation aux arts appliqués, l’allemand Simon Brodbeck a opté pour un contact plus immédiat avec le matériel de prise de vue, en assistant François-Marie Banier (2004-2006) et Peter Lindberg (2006-2008). Sous la température des éclairages urbains artificiels, les couleurs complémentaires se sont fondues dans l’irréel. Dans certains clichés issus de Earth vision, le ciel est orange comme la terre. Les constructions urbaines paraissent monumentales. La couleur ne paraît plus locale. A chaque endroit, la « demi-teinte reflétée » de Delacroix s’infiltre dans les interstices du dispositif. Aucune ombre ne paraît plus noire. Mais le jour lui aussi semble s’être imbibé de cette obscurité vacante. Les interrogations existentielles et les névroses de Monica Vitti dans le Désert rouge (Antonioni) pourraient prendre place dans ce nouvel univers industriel, où le confort urbain ne remplace pas le réconfort. Une personne semble isolée dans l’antichambre de la ville, comme pour marquer l’espace de sa présence symbolique. On pense parfois aux petits personnages en plastique, minuscules, colonisant les maquettes minutieuses des galeries d’architecture.

Plusieurs clichés de Scenes of Life prennent l’allure de tableaux pièges pour la vue. Le regard s’y engouffre à pic, dans les moindres détails, à la recherche d’une trame narrative. La perspective est écrasée, soumise à l’attraction céleste du regard de ces deux acolytes. Certaines caractéristiques propres à la photographie (profondeur de champ) sont effacées. Il y a pourtant une certaine évidence, qui donne le sentiment d’une sincérité. Les croquis préparatoires semblent avoir résisté à leur affrontement avec la réalité, transparaissant dans la construction finale de l’image. Car c’est bien de mises en scène qu’il s’agit, le plus souvent.

Les perspectives étourdissantes ne doivent certainement rien au hasard. Et si la première série était le fruit de longues errances nocturnes, on imagine aisément avec quel soin les acteurs de leur petit monde quotidien (amis, famille…) ont fait l’objet de consignes précises pour leur second projet. Il est alors question d’un « vertige » émanant de la réalité : l’atmosphère feutrée qui suit la naissance, une balançoire, la spirale d’un escalier capturant le regard. Leur amour de la peinture romantique ou réaliste se mélange à l’esthétique implacable et objective de l’école photographique de Düsseldorf. Le temps paraît suspendu.

Lucie et Simon / Laurent Hopp, Lauréats 2010 du Prix HSBC pour la photographie. Galerie Baudoin Lebon (du mercredi 23 juin au samedi 24 juillet 2010) http://www.baudoin-lebon.com/



http://www.lucieandsimon.com/



Image : Lucie & Simon, Scenes of Life, Alone together, Paris, France, 2008, Copyright Lucie et Simon