Pascal Hausherr, De quoi demain

De quoi demain - premier livre de Pascal Hausherr - est publié aux éditions Trans Photographic Press. Presque carré, couvert d'une toile violette, illustré en couverture d'une vue d'un camping déserté où l'herbe verte reprend peu à peu ses droits, il s'offre d'emblée comme un livre que seul a rendu possible quelque épisode dérisoire de l'existence. En ouvrant le volume, on tombe sur la seconde image, reproduite ici, qui amorce la cascade poétique à partir d'un fanion claquant au vent tel un signal d'alarme. Un livre qui rassure néanmoins sur une chose, la France et ses étendards effilochés héberge toujours d'authentiques poètes.

On nous permettra de donner ici un court texte figurant en postface de l'ouvrage, et un extrait d'un entretien réalisé il y a quelques mois.

De quoi demain, livre de l'incertitude :

L’œuvre de Pascal Hausherr cultive une fausse ingénuité. Celle-ci lui permet d’aborder le monde de façon oblique. Son appareil semble a priori ne saisir qu’un détail, une scène anodine. La pratique semble parfois même peu soigneuse en congédiant l’orthodoxie technique. Le photographe mêle les genres et les usages en détruisant toute hiérarchie (une photographie « de famille » répond à une photographie « de mode »). Ainsi des lieux et des scènes, des visages et des postures, des passantes, un défunt.

Comment De quoi demain parvient à construire, dans cette apparence de légèreté même, une forme si singulière d’inquiétude ? Le regard circule et enchaîne des traces d’expériences. La photographie n’y est pas qu’un moyen, elle est aussi son propre sujet : des êtres occupés à photographier, des écrans, des scènes photogéniques. Un monde photographique en somme.

Mais ce monde ne se referme pas sur lui-même. La question sociale s’y manifeste expressément : récurrence des couleurs tricolores du drapeau national, présence des forces de l’ordre, réunions politiques et manifestations scandent cet univers. Si bien que les moments volés des scènes de jeu et de rencontres familiales trouvent une toile de fond qui rappelle les déterminismes sociaux : travail, famille, patrie. Hausherr photographie l’appareil d’État.

Un drapeau flotte en bord de plage, mais il s’effrange : comme nos certitudes. Et le monde moderne du tourisme et des objets design nous revient avec un parfum politique que l’on aurait tendance à oublier. Derrière le voile du prosaïsme s’étend de façon continue le temps des idéologies, même un peu vieillies comme ce drapeau au vent.

L’avenir est incertain.

Entretien

-« De quoi demain » est un titre faussement simple, sans exclamation, sans interrogation, tronqué aussi ; on pourrait prendre l’ensemble des images du livre comme une réponse à la question : De quoi demain sera fait ? Mais la réponse ne serait alors que l’affirmation de l’incertitude. Avais-tu l’idée de ce titre avant de commencer cette série ?

-Oui, le titre se forme avant que j’entreprenne une série, dans la période de maturation qui précède l’opération. La question du désir est toujours en jeu dans la mesure où il s’agit du courage à s’y mettre. J’ai essayé de couvrir le maximum de spectres, c’est-à-dire : photographie amateur, de mariage, de famille, de paysage, de nature morte, etc., et je faisais en sorte d’avoir toujours le titre en tête, quel que soit l’endroit où j’allais. Le fait même que je l’invoque me faisait faire une photographie. Je ne sais pas trop ce que veut dire l’inspiration. Je pense que la photographie se nourrit toujours d’un imaginaire, d’une idée que l’on a, que l’on applique, et qu’ensuite cela construit une pensée.

-As-tu tout de suite pensé à un projet de livre ?

-Non, j’avais même abandonné cette idée. Il reste que chaque photo y possède sa propre autonomie mais je pense que les photographies sont faites pour se développer les unes par rapport aux autres, elles s’enrichissent d’une lecture littérale.

-Quelle technique as-tu mis en œuvre?

-C’est du négatif couleur 6X6 cm avec une sensibilité de la pellicule de 800 ASA. J’avais une réaction rapide à ce que je voyais, grâce à une vitesse d’obturation importante et à une profondeur de champ plus grande. Je voulais également tenter de donner un côté moins soigné aux images, en grossissant le grain, mais c’est étonnant comme la photographie résiste à la salissure, rien n’y fait !

-Lorsque l’on entre dans ton univers, on remarque des motifs récurrents, mais aussi une certaine gravité dans les sujets : un homme vieillissant, un mort, une femme seule, des détails de rue, et toujours cette sérialité dans les formes ; le spectre est toujours large. Aucune image ne se décline seule formellement, en revanche des thématiques sont dégagées et elles se répercutent.

-J’essaie d’aller plus avant dans des sujets que je jugeais mineurs, comme l’enfance par exemple. Quand on débute, il y a toujours une volonté de se singulariser qui me paraît ridicule aujourd’hui. En revanche, avec la maturité, on se désencombre de l’héritage familial, des obstacles et des névroses. Je cherche une simplicité, parfaitement construite, un peu énigmatique et grave. Je travaille, sans sentimentalité particulière, dans un territoire où je serais lié de manière affective. En tant que pur objet intellectuel, le lien m’intéresse davantage que la liberté.

-Quel statut attribues-tu à l’image photographique ?

-La photographie en tant qu’objet plastique est un objet relativement vulgaire. J’aime cette vulgarité inhérente à la photographie, c’est un pur espace mental pour moi, pas besoin d’en rajouter ! Une photographie ne perd rien en étant imprimée dans un livre. Quant à l’agrandissement conséquent d’une photographie, il relève, je pense, de la volonté de se rassembler à plusieurs autour de l’image — comme l’a dit Jean-Luc Godard à propos de la différence entre l’écran de cinéma et la télévision — et d’en faire une lecture collective. On ne s’assemble pas, ou plus, autour d’un livre qui, lui, est réservé à une lecture linéaire et intime.

-Il s’installe des relations entre les images, on voit beaucoup d’objets laissés, abandonnés comme ce coussin et sa jolie couleur bleue, son moelleux, mis sur le rebord de la route tentant d’effacer des traces de peinture comme une vieille éponge et cette connivence avec la tôle froide de la voiture. Tu parles de tendresse, de douceur et dans De quoi demain, on voit des gens qui s’éloignent, des gens plus âgés, des dos, on voit la mort, c’est très méditatif, très spirituel. Par ailleurs, il y a aussi une manière de figer la question sociale comme dans les images, nombreuses, de manifestations et de présence des forces de l’ordre

-On assiste parfois à des scènes aussi absurde que photogénique, comme la photographie qui représente quelques éléments d’un groupe d’une cinquantaine d’étudiants protestant contre l’emprisonnement arbitraire de leurs camarades à la prison de la Santé, lors des manifestations anti-CPE en 2006. Ils scandaient : « Libérez nos camardes ! », et il y avait ce face à face avec trois cent CRS. Pour revenir au spirituel, oui, peut-être bien que mon activité relève de préoccupations de cet ordre, même si je vis sans aucune attache religieuse. Ma relation à la photographie en particulier, et à l’art en général, est néanmoins de l’ordre d’une vocation…