Diane Arbus, de la presse à l'œuvre


À voir à la Kadist Art Foundation jusqu’au 8 février 2009 Diane Arbus, rétrospective imprimée 1960-1971. Première rétrospective Arbus à Paris depuis près de 30 ans, cette exposition présente uniquement les travaux d’Arbus publiés en collaboration avec des magazines comme Harper’s Bazaar, Esquire, Nova et The Sunday Times Magazine, publications constituant le réservoir, entre autres, de quelques unes des plus célèbres images de l'artiste. S’appuyant sur une collection entièrement privée, cette rétrospective est une occasion unique de pouvoir découvrir dans son format et son contexte de publication original un travail qui est loin d’avoir livré toutes ses clés.

Un travail indépendant sur l’œuvre d’une photographe aussi majeure que Diane Arbus est-il encore possible aujourd’hui ? Que cela soit en matière d’exposition, d’essai ou de publication scientifique le contournement des Estates et autres fondations est sans doute l’un des écueils majeurs de la recherche aujourd’hui. On ne compte plus les publications ou rétrospectives incomplètes ou tout simplement avortées par l’action d’ayants droit scrupuleux. Aussi saluons ici le projet indépendant présenté par Pierre Leguillon à la Kadist Art Foundation jusqu’au 8 février 2009: une rétrospective des travaux réalisés par Diane Arbus pour la presse de 1960 à 1971.
En accrochant aux murs de la fondation Kadist les originaux des magazines dans lesquels Arbus à publié parmi les plus belles pages de l’histoire de la photographie d’auteur dans la presse, Leguillon réalise l’archéologie d’un dialogue fécond entre photographie et une forme aujourd’hui disparue d’édition. Les pages placardées permettent au visiteur d’étudier dans leur jus les mises en pages soigneusement élaborées par une Diane Arbus qui rédigeait souvent ses propres légendes. Et l’on va ainsi des couvertures en couleurs des débuts, réalisées en collaboration avec son mari Allan, jusqu’aux dernières publications notamment celle d’Art Forum de mai 1971, à peine deux mois avant qu'elle ne se donne la mort. On y voit directement sur papier glacé s’opérer le glissement progressif d’une photographe publicitaire vers l’exposition franche d’une technique directe élaborant une œuvre sur les réalités sans fard de la société américaine de la guerre du Vietnam et de la lutte pour les droits civiques.

«People Who Think They Look Like Other People.», Nova (Octobre 1969) Copyright (c) 1969 The Estate of Diane Arbus, LLC


Pour le public français c’est ici non seulement l’occasion unique de découvrir la version moderne du "vintage", mais c’est également un retour aux sources, puisque pendant longtemps le seul ouvrage francophone sur Arbus fut la traduction par les éditions Herscher de Diane Arbus, Magazine Work de Marvin Israel et Doon Arbus publié par Aperture en 1984. Et l’on pourra mesurer ainsi l’écart entre cette dernière version de l’histoire et la présentation faite à la fondation Kadist : où l’on découvre notamment une Reine d’Angleterre chromo, ou l’extravagante Mae West imprimée et donc photographiée en couleur. Contournant le contrôle par l’objet publié et dépassant le simple goût du collectionneur, cette rétrospective est un objet ouvert sur la recherche qui invite, par la pile de magazines posée à même le sol de l’exposition, à feuilleter de nouveau le cœur de l’œuvre d’Arbus. On terminera en évoquant la « partie contemporaine » de l’exposition matérialisée par ces rapprochements dont Leguillon à le goût, si ce n'est la science, en faisant dialoguer discrètement mais efficacement les images d’Arbus avec des publications de Walker Evans, Wolfgang Tillmans ou La Documentation Céline Duval, démontrant s’il en était encore besoin l’héritage fécond des publications originales de la photographe new-yorkaise.

Pierre Leguillon présente « Diane Arbus: rétrospective imprimée 1960-1971 », Kadist Art Foundation, 21 rue des Trois Frères, 75018 Paris du 6 décembre 2008 au 7 février 2009, puis au Centre Régionale de la Photographie Nord Pas-de-Calais de Douchy-les-Mines (59282) du 28 mars au 1er juin 2009.

Photographie d'ouverture: Pierre Leguillon