La guerre civile espagnole à l'ICP

L’International Center of Photography de New York consacre actuellement l’ensemble de ses espaces d’exposition à la Guerre Civile Espagnole. Réalisée par Irme Schaber, Richard Whelan (ex-directeur de l’ICP) et Kristen Lubben, une exposition sur Gerda Taro (1910-1937) vient apporter une nouvelle pierre à l’édifice de l’histoire du photojournalisme. Longtemps éclipsée par la célébrité de son maître et compagnon Robert Capa, Taro est ici remise à l’honneur, présentée comme son véritable et nécessaire homologue féminin. S’il ne s’agit pas ici à proprement parler d’une rétrospective (la carrière de la photographe fut extrêmement brève, Taro décédant lors d’un reportage un an après le début du conflit), cette exposition reste majeure, grâce à une sélection de 80 de ses images environ, choisies parmi les archives de l’ICP. Si le style de Taro se révèle être la plupart du temps, sans grande surprise, très proche de celui de Capa, il s’affirme plus personnel dans certaines images plus construites, révélant sa sensibilité aux tendances photographiques contemporaines. Le catalogue accompagnant l’exposition propose une présentation biographique de Taro par Schaber, ainsi qu’un texte passionnant de Whelan sur les problèmes d’attribution des photographies de Taro et de Capa, ainsi que sur la constitution des archives de la photographe. Outre d’excellentes reproductions des œuvres exposées, on y trouve aussi quelques pages tirées de reportages de Taro publiés pour la grande majorité d’entre eux dans Regards et Ce Soir.

Si on peut regretter la quasi-absence de la présentation de ces revues dans l’exposition, le visiteur n’est pas en reste, l’ICP proposant en parallèle "Other Weapons: Photography and Print Culture during the Spanish Civil War". Si l’espace et le nombre d’œuvres présentées sont ici beaucoup plus réduits, ils sont agrandis virtuellement grâce à l’ajout d’un kiosque digital donnant accès à plus de trente revues appartenant au Museo Centro de Arte Reina Sofía (Madrid) et à la Rare Books and Manuscripts Library de l’Université d’Illinois. (Ces documents sont également accessibles en ligne). Les documents – revues, photographies, affiches, et tracts –, sélectionnés par Jordana Mendelson (associate professor of Art History, Univ. Illinois, Urbana), sont organisés en une dizaine de groupes différents tels que "Barcelone", "Madrid", "Photomontage", "Maroc", "Enfants", ou encore "Femmes à la guerre". Si au premier abord cette organisation curieusement hétérogène peut inquiéter le visiteur, elle permet contre toute attente, d’appuyer sur la spécificité espagnole dans l’histoire plus générale de la presse illustrée de propagande durant la première moitié du XXe siècle. La plupart des documents réalisés pendant la guerre avaient pour but de décourager ou de pousser les citoyens à l’action. «Les affiches étaient envoyées aux États-Unis par des volontaires de l’Abraham Lincoln Brigade, distribuées dans les bureaux étrangers par les agences gouvernementales, et déchirées par l’opposition – les Loyalistes (partisans de la Seconde République et les politiciens de gauche) aussi bien que les Insurgents (combattants liés au Général Francisco Franco, contre le gouvernement légitime).» La majorité des revues sélectionnées, telles que les anarchistes Umbral et Estudios, mettent l’accent sur le rôle de l’artiste d’avant-garde dans la société en crise: nous retrouvons ainsi de nombreux photomontages – pour la plupart fortement influencés par les publications de John Heartfield dans AIZ – de Manuel Monicón, Salvador Ortiga ou encore de Josep Renau. La partie consacrée à ce dernier, fervent avocat de l’engagement social de l’artiste, est particulièrement intéressante. Renau est un des artistes les plus controversés de l’époque, d’abord fondateur du parti communiste à Valence puis nommé directeur général de la propagande graphique du gouvernement. Le catalogue d’exposition, bilingue espagnol-anglais enrichit considérablement l’exposition en apportant de nombreuses informations historiques supplémentaires sur le contexte de publication des revues, ainsi que sur leurs affiliations aux groupes politiques correspondants.

Un autre regard, contemporain cette fois-ci, est proposé avec l’exposition "Dark is the Room Where We Sleep: A Project by Francesc Torres". La nuit du 14 septembre 1936, dans le village de Villamayor de los Montes, 46 civils, partisans du gouvernement républicain furent assassinés par des Insurgents loyalistes dirigés par Franco, et enterrés dans une fosse commune. Quelques 30.000 sites comme celui-ci se trouvent actuellement en attente d’excavation en Espagne. La fin relativement encore récente de la dictature Franco (1975) et la période de transition qui suivit ne furent évidemment pas des périodes favorables pour la réalisation de ces projets. Grâce à un partenariat avec l’Asociación per la Recuperación de la Memoria Histórica, Torres a réussi à mener un projet d’excavation de cette tombe du Nord de l’Espagne, photographiant archéologues, anthrolopogues, et inspecteurs médico-légaux au travail, la population actuelle de la région, ainsi que certains des descendants des victimes. Des photographies grands formats en noir et blanc montrent également le résultat des premières étapes de la fouille : on apprécie ici particulièrement la sensibilité de l’artiste qui est parvenu à éviter tout excès de pathos dans son projet, offrant au regard des images presque pudiques des restes humains retrouvés. L’exposition est organisée par Kristen Lubben et partira début 2008 au Centro di Cultura Contemporanea de Barcelone.

Jusqu’au 6 janvier 2008, International Center of Photography, 1133 Avenue of the Americas, at 43th St., New York, 10036, www.icp.org.

Illustrations: 1) Gerda Taro, membre de la milice républicaine s'entraînant au tir sur la plage, août 1936, © ICP (gift of Cornell Capa). 2) Mi Revista, couverture du 15 mars 1937, Biblioteca del IVAM. 3) Francesc Torres, "Dark is the Room Where We Sleep", 2007, © Francesc Torres.