Le World Press mis à nu par ses modèles, même

Au bon vieux temps du photojournalisme, où les sujets de la photo se présentaient à nous avec leurs grands yeux pleins de larmes et de souffrance muette, au temps où seuls les auteurs des images étaient détenteurs d'une parole légitime et audible, cela ne serait jamais arrivé. Mais aujourd'hui – à plus forte raison sur un terrain de guerre comme le Liban – les sujets de la photographie reprennent la parole et nous donnent leur avis. Leurs visages ont fait le tour du monde: ils s'appellent Jad, Bissan et Tamara Maroun, Noor Nasser et Liliane Nacouzi, ils ont entre 21 et 29 ans et sont interrogés par le journaliste Gert Van Langendonck pour le journal belge De Morgen. L'entretien est reproduit (en anglais) sur le blog de Samer Mohdad, qui a lancé la polémique. Les jeunes gens analysent les significations de la photographie avec finesse et discernement. Pourquoi est-ce cette image qui a été choisie, se demandent-ils, et non cette autre du corps d'un jeune garçon sorti des ruines de Cana après un bombardement israélien? Serait-ce parce que celle-ci montre la réalité de la guerre, une réalité inconfortable pour les occidentaux? La guerre n'arrive qu'aux gens qui ne leur ressemblent pas: voilà ce que pensent les occidentaux, voilà ce que leurs montrent les images – disent les jeunes gens.

C'était le 15 août, le deuxième jour après la fin de la guerre. Ils étaient réfugiés et revenaient pour la première fois vérifier l'état de leur quartier. La mini Cooper? Prêtée par une amie, elle avait servi à transporter de la nourriture et des médicaments. Décapotée parce qu'il faisait chaud, et qu'ils étaient cinq dans une petite voiture. “Regardez bien l'image, dit Bissan Maroun. Je peux vous assurer qu'on n'est pas en train de s'amuser. Sur nos visages, on lit la consternation de ce qui est arrivé à notre quartier.”