Recadrer n'est pas truquer

Il y avait L'Oeil naïf, best-seller de Régis Debray. Il y aura désormais le trucage naïf, par Le Figaro. Dans son édition du 24 mai, Le Canard enchaîné révèle que le quotidien, pour illustrer un article consacré au sulfureux banquier japonais Shoichi Osada, a recadré une image d'archives où celui-ci figurait aux côtés de Jacques Chirac. Interrogé par l'AFP sur la disparition du chef de l'Etat, Nicolas Beytout, rédacteur en chef du Figaro, a trouvé la parade: “La photo a été recadrée, elle n'a pas été truquée“. On appréciera la cocasserie du distinguo. Il y a certes mille façons de tricher avec une photographie – à commencer par truquer le réel. Y-aurait-il pour autant une façon plus morale qu'une autre de modifier le sens d'un enregistrement?

Digne de la Pravda des années staliniennes, le procédé est pourtant moins scandaleux par son absence d'éthique que par ce qu'il révèle du statut de la photographie au sein de la rédaction d'un grand journal français. C'est évidemment par paresse que ce cliché, remis en circulation par les récents rebondissements de l'affaire Clearstream, a été utilisé faute de mieux, et redécoupé à la va-vite, sans qu'on y voie malice. Peut-on dire plus clairement que l'image n'est qu'un matériau? Recadrage, retouche, légendes aménagées, libertés diverses font l'ordinaire d'un journalisme où l'illustration a d'abord le rôle d'un surplus décoratif. Certains continuent à prétendre que la photographie est caractérisée par un “régime de vérité“ spécifique. Une thèse qui ne peut avoir que deux explications: ou bien les journalistes n'ont qu'une piètre formation en théorie photographique - ou bien les intellectuels n'ouvrent pas souvent les journaux.

Illustration: Jiji Press, © AFP (exception d'information immédiate).

Commentaires

1. Le jeudi 1 juin 2006, 23:59 par Medo

Oui mais cette photo d'archive avec Chirac et Shoichi Osada n'est-elle pas recadrée avant que le Figaro ne l'achève? Le format n'est pas commun pour une photo prise à l'air du numérique par une agence comme l'AFP.

2. Le vendredi 2 juin 2006, 00:09 par André Gunthert

Il est évidemment possible que l'image ait déjà été recadrée au préalable, mais il ne semble pas s'agir d'une photographie numérique. L'AFP n'est ici que diffuseur d'une image réalisée en 1995 par l'agence Jiji Press.

3. Le vendredi 2 juin 2006, 15:02 par Medo

Effectivement, mais même en argentique, peu de photojournalistes utisent un éventuel format 6x7. Vu le contexte ça ressemble à une photo 24x36 recadrée. Y a t-il d'autres personnages ou objets dérangeants ou est-ce simplement un recadrage esthétique? L'utilisation de l'argentique, dans tous ses formats, permet d'effectuer des tirages avec un bord noir comme preuve de non recadrage.