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“Algérie 1856”

Bad to the bone #8
2016

Regard sur les calotypes d’Algérie de Paul Jeuffrain, conservés à la Société française de photographie (SFP).

En séance du 18 juillet 1856, Paul Jeuffrain, photographe amateur et fabricant de draps à Louvier fait don à la Société française de photographie de 10 photographies d’Algérie. Ce don est complété plus tard et la Sfp, dont Jeuffrain est membre depuis l’origine, conserve ainsi trente-neuf calotypes négatifs d’Alger, Constantine et Biskra. Les images ont été prises avant que l’Algérie ne deviennent entièrement française le 16 juillet 1857, avec la soumission de la Kabylie, et près de 10 ans après que le pays ait été proclamé dans la constitution partie intégrante de la France.
La présence coloniale est discrète voire absente dans ces images d’un Orient balayé par le Soleil, le vent et le sable. Ce n’est en tous les cas pas ce qui retient l’oeil de Paul Jeuffrain. Il semble plutôt animé par l’invitation au voyage en orient formulée par Théophile Gauthier qui dès 1845 invitait les peintres à y « apprendre le soleil et y chercher des attitudes originales et primitives ».
Au fait des progrès des émulsions sensibles au collodion, sur lesquels il écrit dans la revue La Lumière, proche du photographe anglais Roger Fenton, Jeuffrain choisit néanmoins le négatif sur papier salé plutôt que le cliché sur verre au collodion qui autorise pourtant des temps de pause plus rapides. Moins fragile que le verre, le papier est aussi plus facile à transporter en voyage.
Derrière ses images de villes blanches, de déserts et de palmeraies balayés par le vent se cache un secret, une technique inédite que Paul Jeuffrain pratique avec discrétion car le sujet - la représentation du ciel et des nuages - est alors sensible.
Cette technique est celle des ciels découpés. Brulés par le soleil, les ciels des négatifs de Jeuffrain présentaient des imperfections qui, au tirage, auraient pu générer des ciels confus, brouillés du fait des effets de solarisation provoqués par l’inévitable surexposition.
Pour y contrer, Paul Jeuffrain découpe des papiers à la taille des cieux. Il revêt ensuite ces bouts de papiers d’une peinture noire puis les apposent contre le ciel de ses images négatives. Au préalable il aura recouvert d’une deuxième couche, cette fois de vernis noire, une ligne obscure d’environ un centimètre qui formera, au tirage, l’horizon. Entre ciel et terre, cette ligne noire et brillante formera au tirage, la ligne d’horizon. Plus claire que le ciel même, cet horizon restituera l’effet de perspective atmosphérique.
Noircir l’horizon, encrer le ciel, le couper, le recoller, bref le bricoler, le fabriquer… Tel était le lot des premiers photographes condamnés à ne pouvoir restituer le ciel et ses manifestations que par le biais de trucages : Bayard inventa les ciels peints, Gustave Le Gray les ciels rapportés et Paul Jeuffrain excella dans les ciels découpés. N’en déplaise à la critique de l’époque qui, à l’aune des ciels peints, regrettait ces ciels artificiels.
A ce jour les images de Jeuffrain n’ont que très rarement été montrées telles qu’elles sont, en négatif. Elle ont toujours été publiées après un transfert en positif. Hors la génération de l’image positive efface le travail du ciel. Ce sont ces images brutes, brûlées par le soleil, et recomposées par le photographe que l’on donne ici à voir. Et bientôt une exposition permettra d’apprécier ces délicieux originaux.
 
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