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Petits Haikus de saison

 

Cerisiers en fleur

Bruits dans les travées

Samouraï tatoué

 

Bruissement des papiers

Petite prune sauvage

Geisha en cage

 

Claquement des boites

Résistantes au PAT


947 plaques classées

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Geishas en cage (900im251), Fonds Le Play


La SFP s’attaque au fonds Asie.

 

Entre mars et avril 2013, et ainsi que le chantent ces Haikus, 947 plaques de verres positives ont été nettoyées, conditionnées et décrites.

Ces plaques de verre correspondent à trois fonds dont deux identifiés, l’un à Charles Javet et l’autre à Le Play. Le troisième fonds est anonyme.

Le fonds Charles Javet et le fonds anonyme sont  constitués de plaques de verres stéréoscopiques de formats divers  (6 x 13 cm 8,3 x16,8 cm pour le fonds Javet et 4,4x10,8 cm pour plaques anonymes). Le fonds le Play rassemble des plaques de verres positives pour la projection de format 8,5 X 10 cm.

Les pays représentés sont les suivants : Birmanie, Cambodge, Chine, Corée, Tibet, Inde, Japon, Vietnam.


Et maintenant, une explication autour de l'image "Jeunes tigres" (Fonds Charles Javet) par Léa Nguyen-Commo, assistante collection en Service civique à la SFP


« JEUNES TIGRES»

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Cette photographie de Charles Javet, extraite des collections de la Société française de photographie, montre un colon portant deux tigreaux sur ses genoux. Elle a sans doute été prise après une  chasse au tigre dans la jungle. On y reconnaît un colon français de la IIIe République aux habits caractéristiques des colons français de l’Indochine de cette époque. Il porte le fameux chapeau colonial rond et blanc et des vêtements amples blancs car le climat pouvait être assez pénible (chaud et humide en été du fait des moussons) et il fallait se protéger du soleil. La nature très luxuriante, le climat humide et chaud obligeaient les colons a porté des tenues légères.

La chasse au tigre : une nécessité pour les paysans et un enjeu de pouvoir pour la France...

Le colon pose ici fièrement avec sa grosse moustache à la mode de l’époque sur une petite chaise dans une nature luxuriante (caractéristique de la région, peut-être aux abords de la jungle en dehors de la ville), le regard droit posé en direction du photographe. De chaque côté de ses flancs, on peut voir deux tigreaux particulièrement  jeunes  (probablement quelque semaines à peine). Il en tient un dans chaque main, ce qui montre la faiblesse de leur poids.  Le colon les a certainement trouvé après une partie de chasse au tigre. Cette photo est caractéristique de la vie des colons en Indochine qui participaient souvent à des chasses aux tigres. La chasse au tigre était très pratiquée par les colons car les tigres représentaient un danger pour les populations autochtones. Les villages qui étaient aux abords de la jungle souffraient des attaques de tigres. Le tigre représentait la figure du plus terrible des prédateurs dans l’imaginaire des paysans indochinois. Il s’en prenait quelquefois à des humains, ce qui participait de sa légende. De nombreux contes indochinois et des récits de missionnaires témoignèrent de cette présence en masse de tigres dans la jungle et d’attaques. Dès leur arrivée, les colons s’engagèrent dans des chasses aux félins pour protéger les populations locales.  En réduisant les attaques de tigres, le gouvernement français qui administrait les provinces indochinoises, entendait montrer l’efficacité de son système. 

Les raisons de la présence française en Indochine...

Les Français arrivèrent en Indochine au milieu du 19e siècle afin de gagner des possessions en Asie, s'emparer de ports de commerce et contrer ainsi la progression de l’Empire britannique sur ce continent (Inde et Chine notamment). Le 19e siècle est pour l’Europe, le siècle de la conquête coloniale  et de « l’acquisition » de territoires nouveaux pour former de véritables empires. En Europe, certaines nations sont en concurrence et la colonisation représente un nouvel enjeu de puissance. Il s’agit d’être présent un peu partout et d’étendre le plus largement son influence. Il y a à la fois un enjeu culturel et commercial. Culturel, car c’est l’occasion pour certains pays européens de diffuser leur culture, leur moral, leur « lumière » dans des pays qu’ils jugent « baignant dans l’obscurantisme ». Commercial, car l’Angleterre d’abord, puis la France sont en pleine révolution industrielle. La découverte du train à vapeur, de l’électricité, le développement des usines améliorent le confort et stimulent la consommation et les demandes du marché intérieur. L’Angleterre, très intéressée par les richesses et le potentiel commercial de l’Asie, se rend aux Indes puis en Chine où elle cherche à créer des comptoirs (ces petites enclaves occidentales destinées au négoce).  La cour impériale de Chine est réticente à cette arrivée anglaise sur ses terres qu’elle juge comme étant une véritable ingérence.  Cela va alors donner lieu à plusieurs guerres appelées « Les Guerres de l'Opium » qui aboutiront au sac du Palais d’été de Pékin (1860) et à la soumission progressive de la cour de Chine aux Anglais. De leur côté, les Français en concurrence avec les Britanniques décident eux aussi de s’intéresser à l’Asie et d’atteindre la Chine.  Pour cela, plusieurs expéditions de reconnaissance du terrain sont organisées au préalable afin d'étudier la possibilité de passer par le fleuve Mékong qui traverse le Viêt-Nâm et le Cambodge actuels pour rejoindre la Chine du Sud.  Ainsi dès le milieu du 19e, des troupes de marine françaises s'aventurent au Viêt-Nam. Après plusieurs missions d’explorations scientifiques, Napoléon III, commanditaire de ces explorations, est informé que la remontée du fleuve Mékong vers la Chine est impossible (la présence de nombreuses cataractes rend la navigation trop difficile). Face à cette déconvenue, il décide que la France a cependant intérêt à rester au Viêt-Nâm, voire de s’y installer durablement et choisi d’envoyer de nombreux bateaux avec des troupes de marine destinées à occuper l’Indochine. En 1859, elles s’emparent de la ville de Saïgon (sud Viêt-Nam) et occupent le sud du Viêt-Nâm actuel que l’on nomme la Cochinchine grâce au Traité de Saïgon signé en 1862. Puis très vite, la France s’intéresse au Tonkin (région nord du Viêt-Nâm) et à l’Annam (Région centre qui abrite la cour impériale à Hué). L’Empire d’Annam (qui correspond aujourd'hui à l’ensemble du Viêt-Nam actuel) était dirigé par la dynastie des Nguyên. Une véritable guerre s’enclenche à partir de 1881 entre la France et l’Empire d’Annam. En 1885, les troupes de marine  attaquent la citadelle de Hué et s’en emparent, entraînant la reddition de la cour et la chute de l’Empire d’Annam. Les Français occuperont ensuite le Siam (Cambodge et Laos actuels) formant l’Indochine. Le protectorat français en Indochine est déclaré définitivement en 1885 et ne se terminera qu’en 1954 après la défaite française de Diên Ben Phû. Une fois les troupes de marine installées, d’autres Français viendront s’installer. Des bourgeois, des notables mais majoritairement des « petits blancs » (instituteurs, paysans…) viendront s’établir en Indochine connaissant souvent des conditions de vie difficile comme avait choisi de l'évoquer Marguerite Duras dans son roman Un barrage contre le pacifique.

Le tigre : entre danger et curiosité

Il est très courant que le tigre soit évoqué dans les récits de colons européens en Indochine. Dans cette image du fonds Charles Javet,  cet homme ne pose pas avec un tigre mort étendu à ses pieds comme il est courant de le voir sur des photos de l’Indochine de cette période. La singularité et l’originalité de cette photo, ce sont ces deux tigreaux à peine plus gros qu’un chat qui semblent inoffensifs. Cependant on se doute que pour que ces deux bébés tigres se laissent approcher et porter de la sorte, il faut que leur mère ne soit pas à leurs côtés. Or si jeune, il est très rare qu’une mère tigre s’éloigne de ses petits même un court instant. La dangerosité de la jungle la pousse à être dans une position de vigilance extrême et quasi permanente. Il est donc probable que pour que ce colon porte si facilement ses deux petits tigres, il ait tué leur mère avant.

Le colon pose fièrement, les yeux droit dans l’objectif avec ces deux tigreaux comme s’il venait de remporter une médaille. En effet, le tigre représentait l’animal exotique par excellence pour les gens venant de métropole. Le tigre incarne le plus grand danger de la brousse et c’est aussi un sujet de curiosité. Dans la collection dont est issue cette photographie, on observe une autre photographie présentant une jeune femme indochinoise en Ao-Dai (le costume traditionnel) qui pose elle-aussi, au même endroit, sur la même chaise avec les deux mêmes petits. Il est intéressant de mettre ces deux photographies en parallèle car elle montre la rencontre de deux monde : celui des colons français et celui d’une Indochine traditionnelle. Sur cette photographie, la jeune femme ne regarde pas l’objectif. Elle a le regard fuyant et semble apeurée. La suite du fonds, nous indiquera que c’est la Cong-gaï (courtisane et servante indochinoise) de ce jeune colon (probablement un soldat de la marine). Ces deux photographies stéréoscopiques soulignent deux aspects du mode de vie  des Français en Indochine : la chasse au tigre et l'emploi de Cong-gai.

L'outil photographique accompagne les mutations économiques et sociales des grands Empires et enregistre des situations nouvelles qu'elles soient banales ou exceptionnelles. Ici un colon qui pose, témoin d'un mouvement plus vaste : celui de la colonisation française.

FRSFP_0903im_002.jpg Charles Javet. Coll. SFP  

Pour en savoir plus :

Fériel Ben Mahmoud et Jacques Frémeaux, Voyage dans l'empire colonial français, Edition Places des Victoires, 2007

Claude Liauzu, Dictionnaire de la colonisation française, Larousse, 2007

Pierre Brocheux, Daniel Hémery, Indochine : La colonisation ambiguë (1875-1925). Le crépuscule d'un ordre traditionnel, L'Harmattan, 2000

Nguyen Thé Anh et Philippe Papin, Parcours d'un historien d'un Viêt-Nam. Recueil des articles de Nguyen Thé Anh, Les Indes Savantes, 2008

Philippe Papin, Viêt-Nam : parcours d'une nation, La documentation française, 2003