Hamish Fulton Walking to Paris

Son nom est connu des amateurs d’art depuis plusieurs décennies, pourtant ce n’est que trop rarement qu’Hamish Fulton installe ses atmosphères déambulatoires dans une galerie. Sur une proposition de Romain Torri, la galerie Patricia Dorfmann, ouvre son espace au plus discret des marcheurs en proposant photographies, dessins, peintures et autres mots.

Peu visible Fulton l’est, pourtant son nom est présent dans un grand nombre d’ouvrages et de catalogues ; souvent cité mais peu analysé, il est pour les uns un artiste conceptuel, pour les autres un land ou earth artiste. Mais aucune étiquette n’adhère, elles se décollent une par une sous les pieds de cet adepte du no Walk no Work. Diplômé de la célèbre Saint Martins School of Arts, il fait ses classes avec les non moins connus Richard Long et Gilbert et George. Alors que, dans le même temps, certains suivent Anthony Caro dans la New Generation Sculpture, il s’inscrit au Vocational course où tout peut être proposé, sans limite académique, sans poids de la tradition. Gilbert et George se transforment rapidement en Singing Sculpture, Long et Fulton continuent leur réflexion dans la nature. C’est à la fin des années 60, en connaisseurs des mythes et images indiennes que Fulton voyage aux Etats-Unis et découvre les terres sacrées. Dans un premier temps, le binôme d’artistes et amis Long-Fulton, débutent ensemble les marches, sculpte la nature in situ, ramasse et collecte des artéfacts. Rapidement la pensée de Fulton se détache de ces pratiques et se refuse à tout changement, toute manipulation de l’environnement dans lequel il se trouve. Seules ses empreintes de pas laissent une trace qui disparaîtra avec le temps. Il marche seul ou en groupe, lourdement équipé ou non, l’objectif n’est nullement la prouesse physique d’un alpiniste mais l’expérience même de la marche.

« Marcher ne concerne pas la recréation ou l’étude de la nature (ou la poésie – ou s’arrêter pour faire des sculptures en extérieur – ou prendre des photographies). C’est tenter d’être mentalement et physiquement mis à mal – avec le désir de faire circuler intrinsèquement un rythme de marche – d’éprouver un état temporaire d’euphorie, un mélange de mon esprit avec le monde extérieur de la nature. *»

Si la marche est l’œuvre alors quel est le statut de ce que nous propose l’artiste une fois de retour ? **Voilà peut être, au-delà des labels qu’il repousse, toute la difficulté à comprendre son œuvre et les obstacles à l’exposition de son travail. Les photographies, dessins, peintures murales sont des métaphores de ces déambulations, métaphores qui ne reproduisent nullement la marche mais la suggère simplement. Ensemble, elles forment une narration de l’expérience, non strictement reproductible, que seul l’artiste pourrait nous narrer en détail. Alors, à défaut, d’avoir un récit direct de l’artiste, il nous faut utiliser notre imagination, puiser dans nos propres expériences et ressentis, se rappeler des sensations, des bruits, la fatigue ou l’ivresse de l’effort, car la marche est un dénominateur commun. Pourtant, Fulton nous guide en inscrivant sur ces photographies des mots. Jamais de poésie, jamais de texte long, mais des mots sans hiérarchie aucune, sans ponctuation. CHO OYU, que présente la galerie Dorfmann, en est une illustration. Ce cliché pris, dans l’Himalaya, du mont Cho Oyu recèle d’indices techniques : le trajet, le dénivelé, l’assistance humaine et médicale, la date. Avec ces éléments, c’est comme si nous pouvions grimper à notre tour, nous faufiler dans ses chaussures et sentir les éléments. La photographie ne prend aucunement la place de simple archive. C’est le premier médium que Fulton utilise après avoir décidé de ne plus agir directement sur la nature. Filmer ses marches serait impensable, car la présence de la caméra modifierait son comportement, alors, l’appareil photographique lui semble être ce qu’il y a de plus discret, de moins contraignant à emporter. Fulton marche, puis, quand il en ressent le besoin, prend le paysage en photographie. Il n’esthétise pas ses clichés, ne cherche pas à les rendre dramatiques ou attirants, il capture ce qui lui semble être son sentiment, sa perception de l’expérience. Les images sont complétées par des dessins, contours d’objets de pierres, de ligne d’horizon, des mots politiques ou non, adjectifs ou symboliques ; et tout ce patchwork de mediums, de dates, d’expériences, prend sens quand confronté dans un même lieu. Si seule la marche est l’œuvre, ce que nous propose Hamish Fulton à la galerie Dorfmann est tout de même une invitation au voyage, non forcément très loin ou très exotique, mais un voyage qui suppose de laisser aller nos sens, d’imprimer notre cadence comme un rythme intérieur, de communier, presque religieusement avec la nature. Et nous félicitons Fulton of walking to Paris pour nous le rappeler.

  • Hamish Fulton, Walking Through, Londres, Stour Valley Arts, 1999, s.p.
    • « Une marche possède une vie à par entière et n’a pas besoin d’être matérialisée en une œuvre d’art », Hamish Fulton dans Hamish Fulton, Walking a Journey, Londres, Tate Publishing, 2002, p.9.

Hamish Fulton -Walking to Paris Galerie Patricia Dorfmann, 61 rue de la Verrerie, jusqu’au 26 juin.

Clichés : -Walking to Paris, 2002, giclée print, 21x29 cm, 2002 -Cho Oyu, giclé print, 48,5 x 60 cm, 2000 courtesy Galerie Patricia Dorfmann et Romain Torri