Léon Gimpel, les audaces d'un photographe

Musée d'Orsay - Galerie de photographie
12 février - 27 avril 2008

Exposition coproduite par le Musée d'Orsay et la Société française de photographie
Avec le soutien de la Fondation Neuflize Vie pour la photographie

Les noms de Jacques-Henri Lartigue et d’Eugène Atget sont généralement retenus par les historiens de la photographie pour incarner les figures emblématiques de la Belle Époque. Si le premier suggère l’authenticité et la spontanéité d’une pratique photographique familiale, les photographies de Paris du second incarnent une archéologie de la photographie documentaire. À ces deux photographes, il conviendrait cependant d’en ajouter un troisième pour apprécier la richesse iconographique de cette période: Léon Gimpel.

Léon Gimpel (1873-1948) réalise ses premières photographies en 1897. Alors que la plupart des photographies de Lartigue retiennent les plaisirs de la bourgeoisie et que les images d’Atget immortalisent un Paris sur le point de disparaître, Gimpel se concentre sur d’autres aspects de la modernité de son époque. Équipé d’un appareil Gaumont, il laisse libre cours à sa curiosité d’amateur, réalise des reportages photographiques pour le journal L’Illustration et systématise l’enregistrement sériel à des fins de vulgarisation scientifique. À travers ces diverses pratiques photographiques, Gimpel produit des images aux formes nouvelles qui représentent le développement de l’aéronautique, la vie quotidienne de la Belle Époque en couleur ou encore l’évolution d’un Paris nocturne qui s’éclaire désormais au gaz néon.

Léon Gimpel produit ses premières photographies avec un appareil de type Kodak qu’il abandonne rapidement pour un Spido Gaumont dont il peut contrôler tous les paramètres. Quelque soit la technique qu’il utilise, Gimpel met a l’épreuve le médium et développe une pratique expérimentale de la photographie amateur. Il enregistre en noir et blanc la foudre qui s’abat sur la tour Eiffel, la vie parisienne de nuit ou encore la vision en plongée que perçoivent les premiers aviateurs. En 1907, il se charge de la diffusion de la plaque autochrome qui permet de photographier en couleur. Gimpel se distingue à nouveau en modifiant la chimie du nouveau procédé pour réaliser des autochromes instantanées. Avant 1914, Gimpel est le seul à pouvoir enregistrer en couleur des scènes de marché, des enfants qui jouent ou les enseignes lumineuses qui ornent les façades de la capitale. Enfin, lorsqu’il se concentre sur la photographie en relief, Gimpel entraîne la stéréoscopie vers d’autres dimensions qui permettent notamment de saisir les volumes de la géographie lunaire. Défier les contraintes techniques de la photographie et repousser les limites de la représentation traditionnelle en développant des formes nouvelles sont des postulats constants de la production de photographies amateurs de Léon Gimpel.

À partir de 1904, plusieurs centaines des photographies de Léon Gimpel sont publiées dans la presse et en particulier dans L’Illustration. Le photographe représente pour le journal illustré un correspondant idéal, capable de produire un document de bonne qualité technique et suffisamment audacieux pour réaliser une image originale. La collaboration avec l’hebdomadaire est à l’initiative de Léon Gimpel qui envoie spontanément en mars 1904 deux photographies, publiées quelques jours plus tard. L’association entre le journal et le photographe dure plus de trente ans. L’essentiel de ses images publiées représentent une actualité de proximité dont les mises en forme photographiques sont à elles seules de petits événements (photographies nocturnes, photographies en plongée, photographies en couleur…). Cependant, à partir de 1909, Gimpel joue également le rôle d’envoyé spécial pour le journal et couvre notamment la venue des souverains russes à Cherbourg, ou encore le meeting aérien de Bétheny. À Cherbourg, le photographe use de toutes les astuces pour parvenir au plus près du Tsar et produit des images qui relèvent du « scoop ». Quelques semaines plus tard, pour photographier les pionniers de l’aviation, il s’embarque à bord d’un dirigeable et bascule son objectif de haut en bas, bousculant de la sorte les règles de la perspective traditionnelle. Non seulement Gimpel produit des images aux formes surprenantes, mais il leur garantit une vaste diffusion en s’assurant leur publication dans L’Illustration dont le tirage atteint plusieurs milliers d’exemplaires à la veille de la Première guerre mondiale.

Les collections de la Société française de photographie conservent plus de 3800 clichés de Gimpel. Dans cet ensemble, se distinguent des images expérimentales, des photographies de reportage, mais également de longues séries de clichés aux sujets étonnants et aux formes redondantes. Quelques mois après la diffusion du procédé autochrome, Gimpel commence a enregistrer systématiquement l’évolution de l’éclairage nocturne au gaz néon. Jusque dans les années 1930, le photographe garde la trace en noir et blanc et en couleur des illuminations de la capitale.
Dans ce cas précis, le sujet est à l’origine de la cohérence de la série, mais d’autres ensembles témoignent d’une homogénéité qui s’appuie sur la mise en forme. C’est le cas notamment d’une collection de photographies de champignons totalement isolés de leur contexte naturel ou de microphotographies qui révèlent des formes abstraites. Projetées en public à des fins de vulgarisation scientifique, ces images n’en produisent pas moins des sujets inédits et des protocoles photographiques qui s’apparentent au "style documentaire".

Qu’il opère en noir et blanc ou en couleur, Léon Gimpel a donné de l’actualité de son époque une vision moderne qui fait de lui un photographe majeur de l’histoire de la photographie à la Belle Époque. Quelque soit le champ dans lequel il évolue (amateur, professionnel et scientifique), les photographies de Gimpel témoignent d’une maîtrise parfaite de la technique mise au service d’un renouvellement des formes.

L'exposition présentera environ 180 photographies – autochromes et plaques de projection - provenant des collections de la SFP et des collections du musée d'Orsay, grâce à une acquisition récente. Afin d'illustrer son travail pour la presse, ses images seront mises en lien avec les extraits de L'Illustration.

Très fragiles et difficiles à éclairer, les autochromes et les plaques de projection sont rarement montrés dans les expositions de photographie. Afin de rendre cette exposition possible, un système particulier d'encadrement et d'éclairage des plaques a été conçu, en lien avec des restaurateurs spécialisés et les conseils de l'Atelier de restauration de photographie de la Ville de Paris. Le montage utilisé permet d'éviter les manipulations directes et répétées des plaques de verre tout en permettant un accrochage dans des caissons lumineux (lumière froide).

Cette présentation permettra de rendre hommage au travail de Léon Gimpel mais aussi de valoriser, de façon exceptionnelle, une pratique de la photographie très populaire en son temps mais aujourd'hui oubliée ; les séances de projection de plaques lumineuses étaient, au début du XXe siècle, aussi courues que celles des premiers films du cinématographe.

À côté de la présentation des plaques de projection et des autochromes, environ 150 images – numérisées à partir des autochromes et des plaques originales – seront projetées, en boucle, sur la base de séquences de vingt minutes, dans la dernière salle de la galerie de photographie.

Commissaires : Dominique de Font-Réaulx, conservateur au Musée d'Orsay, Thierry Gervais, Société française de photographie.
Scénographe : Giuseppe Caruso

Illustrations:
Fig. 1. Le dirigeable “Ville de Bruxelles” en cours de gonflement., gélatino-bromure, 9 x 12 cm, 22 mai 1910, collection SFP
Fig. 2. L’Avenue du Bois le dimanche matin, Autochrome, 9x12 cm, 7 mai 1910, collection SFP
Fig. 3. Départ du dirigeable militaire “Le Temps” pour la revue, gélatino-bromure, 9 x 12 cm, 14 juillet 1911, collection SFP
Fig. 4. Illuminations de la salle Wagram à Paris, Autochrome, 9x12 cm, 5 décembre 1925, collection SFP
Fig. 5. Amanita phalloïdes ouamanite phalloïde, champignon mortel, Autochrome, 9x12 cm, 18 septembre 1912, collection SFP