Parution du n° 21 d'Etudes photographiques

image Numéro spécial: "Paris-New York", actes de la journée d'études "Photographie et institution(s). Echanges transatlantiques entre Paris et New York", organisée le 23 mars 2007 à Institut Charles V par François Brunet (université Paris 7), Nathalie Boulouch (université Rennes 2) et Gaëlle Morel (université Rennes 2).

La loi du marché

  • Gaëlle Morel, "Un marchand sans marché. Julien Levy et la photographie".

Le galeriste américain Julien Levy (1906-1981) est généralement connu du monde de l’art pour son rôle dans la promotion du surréalisme aux États-Unis. Le marchand joue également un rôle fondamental dans les prémices de la reconnaissance de la photographie dans les années 1920 et 1930. En associant ses activités à celles des institutions artistiques de l'époque, comme le MoMA, il tente de créer un marché encore inexistant dans un pays dévasté par les conséquences de la crise de 1929. Malgré ses démarches, Levy est rapidement contraint de se détourner de la photographie. La volonté de construire un système d’échanges entre le marché et l’institution se révèle insuffisante pour assurer la pérennité de son entreprise.

  • Samuel Kirszenbaum, "Harry H. Lunn, la vision du marchand".

Dans l’historiographie de la reconnaissance institutionnelle et critique de la photographie, le rôle du marché a rarement été étudié – et celui de ses acteurs individuels encore moins. C’est à combler cette lacune que s’attache la présente étude, consacrée au rôle pionnier du marchand américain Harry Lunn, pivot d’un commerce transatlantique actif dans les années 1970 et 1980. En définissant différentes stratégies de commercialisation, il se place au centre des différents acteurs du monde photographique (musées, institutions, artistes, marché, universités…). Il crée également une dynamique qui contribue à faire émerger une nouvelle génération d'acteurs et d'historiens. Par sa participation à la création des premières instances de légitimation, sa méthode a permis au marché d'acquérir un statut autonome.

L’éveil des musées

  • Laetitia Barrère, "Influence culturelle? Les usages diplomatiques de la photographie américaine en France durant la guerre froide".

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le Museum of Modern Art de New York représente un agent majeur de la “promotion” de l’art américain à l’étranger. Aux côtés des traditionnels arts plastiques, le musée voit dans les arts appliqués (photographie, architecture, cinéma) les symboles d’une modernité typiquement américaine capable de jouer en faveur de la reconnaissance d’un art national authentique. La section photographique de l’exposition “50 ans d'art aux États-Unis” (“Modern Art in the US”) préparée par Edward Steichen et présentée au musée national d’Art moderne de Paris (1955), incarne un cas d’étude éloquent sur le rôle assigné à la photographie dans les échanges artistiques transatlantiques, alors empreints d’une forte teneur diplomatique. Alors que les arts plastiques peinent à être reconnus en France, le succès de la photographie participe en revanche à la reconnaissance d’une identité artistique américaine originale. L’éloge de l’artiste-photographe et des possibilités créatives du médium témoigne en outre chez Steichen d’une conception moderniste de la photographie, propre à articuler les valeurs de liberté et de modernité chères à l’Amérique.

  • Kristen Gresh, "Regard sur la France. Edward Steichen entre Paris et New York".

Lorsque Edward Steichen arrive au MoMA comme chef du département de Photographie en 1947, il se distingue de son prédécesseur Beaumont Newhall qui mettait l’accent sur la reconnaissance artistique du médium. L’attachement à la France et la liberté dont Steichen jouit dans le choix de ses projets lui permettent de donner la dimension qu’il souhaite à l’intégration de la photographie européenne au MoMA et notamment de la photographie française. Sa pratique consiste à puiser son inspiration en France, diffusant largement la photographie française aux États-Unis. À travers des expositions telles que “Five French Photographers” et “The Family of Man”, Steichen tente d’encourager ses compatriotes américains à reconnaître le travail des photographes français. Cette ouverture vers l’Europe et la France marquera la photographie américaine à venir.

  • Larisa Dryansky, "Le musée George-Eastman. Une autre histoire de la photographie américaine?".

L'historiographie française de la photographie américaine est restée largement tributaire de la vision défendue au MoMA dans les années 1960 et 1970 par le conservateur de la photographie, John Szarkowski. Réductrice, cette interprétation méconnaît l'importance du musée George-Eastman de Rochester, l'autre grand pôle photographique américain dont l'impact a été déterminant tant pour l'éclosion de styles nouveaux que pour le développement d'une politique de défense de la photographie par la voie de publications, de l'enseignement et d'une réflexion sur l'histoire de ce mode de création. S'interrogeant sur les raisons de cette méconnaissance, notre essai brosse le portrait de l'institution de Rochester depuis sa fondation jusqu'au milieu des années 1970, moment de sa plus grande influence. Mettant en lumière le rôle de Nathan Lyons, conservateur de 1962 à 1969, nous détaillons la vision spécifique de la photographie développée au sein du musée. Enfin, à travers le cas particulier d'expositions (notamment “New Topographics”), nous posons la question d'un retentissement indirect sur la photographie française.

Documents de l’échange

  • Michel Poivert, "Dear Mr Stieglitz... À propos de la correspondance Demachy-Stieglitz, 1898-1912".

L’ensemble des lettres de Robert Demachy destiné à Alfred Stieglitz et désormais conservé par la Beinecke Rare Book de l’université de Yale nous éclaire sur la nature des relations entre deux figures majeures du courant pictorialiste. Entre 1898 et 1912, le photographe français travaille à tisser une relation avec le chef de file de la photographie artistique new-yorkaise dont il devine rapidement l’importance. La situation internationale du mouvement pictorialiste voit émerger la Photo-Sécession (1902) et une réelle avant-garde photographique qui, à partir de 1900, impose aux salons photographiques européens un nouveau ton. Les courriers de Demachy documentent cette relation trans¬atlantique dont cette présentation retient la dimension humaine voire intime. Conscient d’une école française rattrapée dès l’Exposition universelle de 1900 par la concurrence étrangère, Demachy laisse entendre dans ses confidences le modèle que constituent bientôt pour lui les jeunes photographes américains. Humble, voire soumise à l’autorité grandissante de Stieglitz, l’attitude de Robert Demachy éclaire, à travers leurs rendez-vous manqués lors des séjours de l’Américain en Europe, sur la détermination nécessaire à la constitution d’une avant-garde photographique qui s’est détachée de la toile de fond que constituait alors l’amateurisme.

  • Nathalie Boulouch, "Les passeurs de couleur. 1976 et ses suites".

En 1976, par le biais de deux expositions successives consacrées à William Eggleston et Stephen Shore, le Museum of Modern Art (MoMA) de New York offre à la photographie couleur le cadre d'un début de légitimation artistique. En revenant sur cet événement qui a rapidement été relayé aux États-Unis, l’article examine son écho et son impact en France au tournant des années 1970-1980. À travers l’analyse des processus de diffusion et du rôle des critiques il fait apparaître comment, en l’espace de deux ans, la France “invente” à son tour sa propre expression photographique en couleurs. Dans un contexte plus général de prise de distance vis-à-vis d’un modèle américain, cette naissance d’une photographie incarnée par le travail de John Batho, Daniel Boudinet et Luigi Ghirri révèle comment le modèle stratégique adopté par John Szarkowski autant que le pouvoir d’attraction du style documentaire ont joué un rôle de référence souterrain et séminal.

  • Katia Schneller, "Sur les traces de Rosalind Krauss. La réception française de la notion d’index, 1977-1990".

L’historienne et critique d’art Rosalind Krauss est aujourd’hui considérée comme l’une des grandes théoriciennes de la photographie. Son nom est systématiquement rattaché à la notion d’index, et ce, essentiellement pour l’article qu’elle publia en 1977 dans la revue October, intitulé “Notes on the Index : Seventies Art in America”. Ce texte, s’il est considéré comme une référence incontournable de la théorie photographique, n’avait pourtant pas pour objet la photographie mais l’élaboration d’un nouveau paradigme théorique à même de comprendre l’art des années 1970. Afin de comprendre comment cet article issu de la critique artistique américaine s’est trouvé assimilé par le champ photographique francophone, il est nécessaire de retracer son cheminement depuis New York jusqu’à Paris. Cette étude permet de constater l’existence d’un réel réseau intellectuel transatlantique fonctionnant bel et bien à double sens comme le montrent les échanges entre les revues Macula et October, ou encore la réception que Philippe Dubois a faite de la pensée de Krauss.

Entretien

  • Françoise Heilbrun, "Liens transatlantiques, circulation institutionnelle".

Notes de lecture