La photographie abstraite à New York

image A en croire l'actualité des galeries new-yorkaises, la photographie abstraite est en train de devenir une alternative à la vogue documentaire. Le phénomène est d'autant plus intéressant qu'il n'est pas constitué par la seule apparition de nouveaux travaux up to date mais aussi par la diffusion d'auteurs historiques parfois négligés, le tout permettant de se faire une idée de la permanence d'une photographie de type expérimentale depuis un demi siècle. La galerie Zabriskie présentait ainsi jusqu’au 3 novembre une trentaine de photographies de Konrad Cramer (1888-1963), allemand émigré aux Etats-Unis au début des années 1910, professeur de photographie à la Woodstock School of Miniature Photography (1937-1939) puis au Bard College (1940-1946).Tout en poursuivant son activité de peintre pour laquelle il est d’ailleurs le plus connu, cet artiste pratiquement oublié aujourd’hui s’empare du médium photographique dans les années 1930 sous l’influence de Stieglitz afin selon lui, «de clarifier des problèmes esthétiques picturaux». S’il commence par réaliser des natures mortes et des paysages dans la lignée des photographes straight, il s’éloigne vite du diktat de la photographie pure. La majorité de ses photographies présentent des compositions abstraites dans lesquelles l’artiste expérimente avec des sources de lumière diverses et des manipulations photographiques comme des expositions multiples, des superpositions et des solarisations. Il produit avec cette dernière technique de magnifiques nus, dont les contours sensuels rappellent ses dessins et peintures, réalisés à la même époque. La distance historique dont nous bénéficions aujourd’hui permettra peut-être de réévaluer l’importance de cet anti-moderniste avant l’heure, difficilement accepté dans le milieu photographique de son temps.

image Une quarantaine de photographies récentes de l’Américain Ray K. Metzker sont exposées jusqu’au 12 janvier 2008 à la Laurence Miller Gallery. Elève de Siskind et de Callahan à l’Institute of Design de Chicago dans les années 1950, Metzker produit, dès son premier projet photographique ("My Camera and I in the Loop", 1957) et dans toutes les séries qui suivront, des oeuvres reflétant parfaitement l’éducation prodiguée dans l’école de Chicago après la mort de Moholy-Nagy. Exemple typique du "style" Institute of Design, Metzker a constamment cherché à allier un langage formel abstrait à une description parfois extrêmement minutieuse du détail, créant des images souvent à la limite du documentaire (voir en particulier les séries "City Whispers" et "Pictus Interruptus"). Dans la série "Arrestation" (2007) présentée ici – des collages réalisés à l’aide de papiers exposés, écrasés, déchirés, puis réassemblés –, l’artiste pousse à son paroxysme cette alliance abstraction/figuration, qui lui permet de créer des images d’une étonnante rythmicité optique. La position de Metzker est quasi-réactionnaire: de part leur traitement formel, ces œuvres semblent bien plus proches des expérimentations des avant-gardes historiques que des photographies "pures" de Siskind et de Callahan tandis que sa série de photogrammes repose sur un brouillage des frontières entre photographique et pictural qui semble se jouer d’une époque où une photographie devait nécessairement ressembler à une photographie.

image Miguel Abreu présente jusqu’au 9 décembre les plus récents travaux de l’Américaine Eileen Quinlan. Ils s’intègrent dans la série "Smoke & Mirrors" sur laquelle elle se concentre avec obsession depuis 1994. Le mode opératoire est simple: une installation de miroirs colorés au milieu desquels se reflète de la fumée projetée par l’artiste. Le résultat: une belle image abstraite, presque picturale, en couleurs, ou en noir et blanc, au choix. On y retrouve les traditionnelles "astuces" des avant-gardes: multiplication et intersections de plans multiples, illusions optiques, refus de narrativité, désorientation du regard, célébration des relations formelles. Mais Quinlan pousse bien plus loin cet exercice de style bien tourné qu’on pourrait considérer à première vue comme un simple écho fané aux premières abstractions photographiques du début du XXe siècle. A partir de ce point de départ faussement ingénu, elle déconstruit avec zèle l’abstraction qu’elle met à l’oeuvre. L’utilisation de l’argentique lui permet d’arriver à des images organiques, presque "sales", où elle laisse volontairement apparaître de nombreuses éraflures, de la poussière voire parfois des empreintes de doigts. Dans d’autres images, Quinlan décale franchement son point de prise de vue, jusqu’à adopter de mauvais cadrages bien pensés qui dévoilent un coin de la pièce dans laquelle est entreposée son installation. C’est sans doute dans ces images que l’artiste révèle le plus son originalité et son habileté à éviter le danger de tout excès de chic et de bien léché. Elle y dénonce son propre stratagème: l’image abstraite est démasquée, trahie par son créateur même, pour redevenir photographie.