Rapport moral présenté à l'assemblée générale 2005

Depuis quelques années déjà, les énergies se conjuguaient pour faire de 2004, année du cent-cinquantième anniversaire de la création de la Société française de photographie, une année exceptionnelle. Je crois pouvoir dire que les résultats ont été à la hauteur de nos attentes, et c’est pour nous une satisfaction et une fierté que de ne pas avoir à rougir de la comparaison qui peut s’établir entre l’actualité et le passé. Je voudrais m’arrêter un instant sur ce chiffre: peu d’associations peuvent se prévaloir d’une telle longévité, encore moins d’une si exemplaire continuité. Oui, la Société française existe aujourd’hui depuis plus de cent-cinquante ans : c’est désormais la seule association photographique à pouvoir revendiquer une aussi longue durée sans rupture majeure dans ses formes, dans son esprit ni dans l’intégrité de son patrimoine. Nous pouvons adresser ici un salut amical aux fondateurs et aux pionniers, qui ont su donner à l’association ces traits si solides, tout comme aux nombreux continuateurs qui, génération après génération, ont su reconduire et prolonger un peu de l’utopie originelle.

Cette longévité qui fait désormais partie du patrimoine de l’association confère à l’évidence à ses acteurs d’aujourd’hui une responsabilité dont ils doivent avoir pleine conscience. Une partie significative de l’équipe qui a participé au redressement de l’association en 1993 se représente aujourd’hui, douze ans et quatre mandats plus tard, à votre approbation. Le rappel de cette péripétie de notre part est un réflexe qui peut peut-être agacer. Je ne peux toutefois m’empêcher de me reporter dix ans en arrière, à un moment où, pour célébrer son cent-quarantième anniversaire, notre association ne pouvait faire état que d’une modeste conférence publique à la Vidéothèque de Paris. Les manifestations de l’an dernier témoignent, mieux que n’importe quel discours, du chemin parcouru depuis.

Dans le bilan du cent-cinquantenaire, réalisé sous le patronage du ministère de la Culture et de la Communication, commençons par le plat de résistance: "L’utopie photographique" – 240 pièces issues des collections exposées entre novembre et janvier – qui restera pour beaucoup un grand souvenir, grâce au soutien et à la très active collaboration de la Maison européenne de la photographie et de son directeur, Jean-Luc Monterosso, qui a accepté d’inscrire cette manifestation dans ses murs, dans le cadre du Mois de la photographie, et qui a consenti à un investissement d’une centaine de milliers d’euros, affectés aux frais d’exposition, pour que celle-ci se déroule dans les meilleures conditions. Il nous faut saluer également la collaboration de l’architecte Mathilde Eudes à la scénographie, qui a conféré à cette manifestation son cachet très particulier, et celle de Carole Troufléau, qui, de retour de Rochester, a mis tout son talent et ses connaissances au service de l’organisation matérielle de l’exposition (agrémentée par ses soins d’une soirée de projection des plaques originales). Il nous faut saluer, avec un grand plaisir et beaucoup de reconnaissance, la précieuse collaboration d’Anne Cartier-Bresson et de l’atelier de restauration de la Ville de Paris, qui a suivi de bout en bout cette manifestation, j’y reviendrai. Mais il nous faut aussi, en ce lieu et d’abord, saluer le maître d’œuvre de ce projet, celui qui l’a pensé, organisé et accompli dans ses moindres détails, qui y a employé toute son énergie et son talent, qui y a passé, j’en témoigne, de longues heures de veille et parfois d'appréhension, sans jamais ménager sa peine, le tout bien sûr dans les conditions requises par l’esprit et la lettre de notre association, celles du plus parfait bénévolat, je veux parler de Michel Poivert, à qui nous devons l’hommage de nos applaudissements pour une générosité si rare et si précieuse. (Applaudissements.)

Nous avons entendu des voix regretter que les choix de "l’Utopie photographique" en fassent une exposition institutionnelle parmi d’autres. Cette critique est en réalité pour nous le plus bel éloge car, depuis de longues années, le précieux patrimoine de la SFP était resté bien en-deça d’une telle valorisation. Les images de la Société n’étaient-elles pas, dans la mémoire et l’esprit de beaucoup, cet assortiment de curiosités hétéroclites et poussiéreuses, avec quelques chefs-d’œuvres, certes, mais dans un piteux état de conservation, incapables de rivaliser avec les plus belles pièces des grandes manifestations du domaine? Oui, l’une des options de "l’Utopie photographique" a été de se présenter comme une exposition qui pouvait se mesurer aux grandes manifestations institutionnelles récentes. Libre à chacun de critiquer cette option, mais il faut bien comprendre que ceux qui croyaient cette démonstration possible à partir de l’état de nos collections n’étaient pas nombreux il y a encore quelques mois. C’est maintenant chose faite, dans le respect de l’état le plus récent des intérêts scientifiques, comme dans celui des conditions d’exposition les plus rigoureuses. Cette démonstration sera désormais un acquis, et c’était à vrai dire le plus bel hommage à rendre au patrimoine de la Société et à la mémoire de ses donateurs.

Toutefois, les qualités esthétiques de cette manifestation, qui en étaient le caractère le plus frappant, ont peut-être contribué à repousser dans l’ombre ses qualités expérimentales, qui n’étaient pas moindres, mais qui ont été mises au service de l’exposition en toute discrétion. En effet, loin d’un simple accrochage de vintages, cette exposition a été l’occasion d’une présentation presque exhaustive de la variété des supports représentés dans nos collections, du daguerréotype à la plaque négative en passant par l’autochrome ou au procédé Lippmann, dans des conditions techniques d’une haute complexité. Souvenons-nous également qu’une longue recherche a été menée en collaboration avec l’Atelier de restauration pour aboutir à l’exposition du Noyé de Bayard et que cet objectif, qui était l’un des grands projets de l’exposition, n’a dû être abandonné qu’à regret, lorsque la preuve d’un risque de détérioration de l’œuvre a été constatée, quelques semaines à peine avant l’ouverture. Anne Cartier-Bresson, outre la responsabilité de la restauration d’un ensemble de pièces, a également veillé à la préservation des originaux tout au long de l’exposition : les vitrines ont été munies de divers détecteurs qui ont permis de vérifier la sécurité des conditions d’exposition, de procéder à des mesures et des tests jusqu’au moment du décrochage, et qui font de cette manifestation une véritable expérimentation scientifique dont les résultats, je l’espère, pourront être publiés.

Parmi les bénéfices de cette exposition, nous pouvons compter le fait de disposer d’un remarquable catalogue en quadrichromie, tiré à 3000 exemplaires par les éditions du Point du Jour, grâce à la contribution de la banque de Neuflize, à hauteur de 35.000 € (je souligne au passage que, si l’on ajoute cette somme à l’investissement consenti par la MEP, sans oublier la subvention de 15.000 € accordée par la Délégation aux arts plastiques, on arrive à un apport extérieur d’environ un million de nos anciens francs, soit l’équivalent du budget annuel de l’association). Là encore, c’est la première fois que la Société dispose d’un outil d’une telle qualité, consacré à la description de ses collections. Outre la synthèse d’une dizaine d’années de travaux des principaux chercheurs de l’association, que proposent les notices, cet ouvrage présente d’intéressantes nouveautés sur l’histoire de la Société, dont la fondation est notamment élucidée. Il nous fournit un instrument de communication qui nous manquait jusqu’à présent, et nous espérons qu’il pourra encourager de nouveaux chercheurs à s’intéresser au patrimoine de l’association, dont des pans entiers, et non des moindres, restent à explorer.

Le cent-cinquantenaire a été complété par l’organisation, par les soins de Paul-Louis Roubert, d’un colloque consacré à l’histoire de la SFP, qui s’est tenu en décembre dans les murs de la Bibliothèque nationale de France, associée elle aussi à notre anniversaire. Cette réunion a permis de faire le point sur les recherches en cours, et a notamment été l’occasion de la première présentation d’un ensemble exceptionnel de travaux réalisés à partir du dépouillement du Minutier des notaires aux Archives nationales, susceptible d’éclairer et de renouveler l’étude de la photographie française du XIXe siècle. Ajoutons enfin que le jubilé a été l’occasion de diverses mises à jour, comme celle du site de l’association, réalisée avec l’aide de Guillaume Ertaud, ou encore celle de son identité graphique, avec la réalisation d’un nouveau logo par Jean-Yves Quellet. Last but not least, 2004 a été aussi l’année d’une confirmation que nous attendions depuis longtemps : celle de nos nouveaux statuts, votés en 1998, et du renouvellement de la reconnaissance d’utilité publique de l’association par le Conseil d’État. Cette reconnaissance n’est pas qu’un atout symbolique : outre les dispositions fiscales dont elle nous fait bénéficier, elle nous permet également d’accéder au nouveau cadre législatif du mécénat. Au total, l’anniversaire de 2004 n’a donc pas été qu’un événement ponctuel, mais le résultat visible d’un large ensemble d’activités préparatoires, dont les retombées vont continuer à alimenter pendant plusieurs années la vie de l’association.

Etant donné l’ampleur de ce volet, vous me pardonnerez de passer plus rapidement que de coutume sur les matières habituelles de l’association. Au chapitre des prêts d’œuvres, on notera avec satisfaction la présence de la SFP à plusieurs manifestations d’importance, notamment les expositions "Autour du symbolisme" au palais des Beaux-arts de Bruxelles, "Le Troisième œil" à la MEP, ou encore l’exposition consacrée à l’autoportrait au musée Victor Hugo. Notre contrat avec la société Photo12, qui assure la commercialisation en ligne des images numérisées issues de nos collections (plus de 5000 à l’heure actuelle), arrivait à son terme, et a été renégocié favorablement grâce à Thierry Gervais : les résultats de cette activité, qui atteignent 5000 € en 2004, sont en forte croissance, et nous pouvons espérer qu’ils se substitueront au moins partiellement à la moins-value de nos revenus financiers. Les travaux d’inventaire se sont poursuivis avec régularité, grâce à la participation des stagiaires Pauline Dhuic, Marie Gauthier, Marion Pieuchard, Pierre Laforgue et Virginie Ringler. De même se sont poursuivis les "Entretiens publics" du Bulletin organisés à la MEP, ou encore notre participation au cycle de conférences de La Filature à Mulhouse. Au chapitre des collaborations en région, on retiendra l’exposition sur l’autoportrait accueillie dans le cadre de notre convention avec l’université de Rennes. Au chapitre des éditions, nous noterons la poursuite régulière de la publications du Bulletin, qui atteint son 19e numéro, ainsi que la parution du sixième volume de la collection de photographie contemporaine des éditions 779, avec un volume consacré à Mathieu Pernot. Études photographiques a publié l’an dernier son 15e numéro, avec deux apports notables: une importante subvention de 11.000 € dévolue par le musée Niépce de Chalon, pour laquelle nous remercions chaleureusement François Cheval; le classement de la revue par le CNRS en catégorie A ("revue internationale de très haut niveau"), ce qui a pour conséquence pratique la reconduction de la subvention.

L’Assemblée générale ordinaire du 18 mai 2005 a approuvé ce rapport moral à l'unanimité.